Le syndrome de la cabane
Le 15 mai dernier j’écoutais l’irremplaçable Frédéric Pommier sur France Inter et je réalisais que je n’étais plus seul. Nous l’avions tant attendu ce déconfinement et il a bien fini par arriver.
Un 11 mai d’abord, suivi d’un 28 mai, avant peut être un 22 juin. Des dates qui s’enchaînent conjuguées par des conférences de presse et des préconisations gouvernementales. Nous pouvons à nouveau sortir de chez nous. Masqués si le cœur et la raison sont bien reliés. Pas tout à fait libérés mais libres quand même de nos mouvements et de nos envies. « Restez chez nous », on l’a tellement écrit, répété, chanté, « hashtagué » que soudain je me demande si c’est bien raisonnable de vouloir remettre le nez dehors. Pourtant mes amis me manquent, les apéros collés serrés sans nul doute, la Maison de la Radio et ses interminables couloirs circulaires aussi. J’ai passé toute ma vie dehors, et deux mois dedans. Comme une deuxième gestation.
Mon appartement fut une matrice. Bien au chaud, souvent au soleil, seul à ma fenêtre, à imaginer comme un futur nouveau-né à quoi pouvait ressembler le monde dehors. Seul devant mon écran des jours entiers à m’éloigner de celles et ceux qui m’étaient si proches, avec cette réalité quotidienne que l’on ne pouvait plus se toucher, s’embrasser… Gainsbourg avait écrit « l’amour physique est sans issue ». Il parlait essentiellement de l’amour charnel. Mais pas seulement. Il avait peut-être tort finalement. Même si son idéal amoureux d’alors ressemblait à l’inaccessible Brigitte Bardot. Nous ne sommes malheureusement pas au quotidien dans cette mythologie artistique, « évoluant dans un monde construit sur des relations iconiques ou intouchables ». De ma cabane, je sais, plus que jamais, que le regard n’est puissant que s’il est sans filtre. Une idée ou un projet ne prennent tout leur sens que dans l’électricité magnétique d’une éloquence, en face à face. Un sourire ne parle que lorsqu’il est à portée de visage. Une tristesse, une mélancolie, un doute, tant de sentiments qui ne savent s’exprimer que dans la vérité d’un échange. Mon logis fut un ventre perlé d’un curieux liquide amniotique. Replié, je devinais le monde. Un monde soudainement sans tumultes, avec des grands bruits d’oiseaux qui se réverbèrent sur les quatre coins de ma cour intérieure. Un monde intérieur avec sa rotation sur l’inquiétude et l’incertitude.
Puis aujourd’hui ce même monde-là qui doit apprendre à retrouver celui de l’extérieur. Avant ils ne faisaient qu’un. Aujourd’hui ils sont encore dissociés. Qui aurait pu imaginer qu’il faille un jour à nouveau apprendre à vivre dans ce monde d’avant ? Que tant d’humains rêvent celui d’après ? A chaque jour suffit sa peine ou sa joie, et pour réapprendre à sortir, j’écoute ainsi des chansons. Qui n’avaient pas le même sens lorsqu’elles furent écrites. Daran et son magnifique « Dormir dehors ». Pour bomber le torse Johnny Cash « Sunday morning coming down » pour vite au contraire rentrer chez soi. « Sortir ce soir » d’Etienne Daho, puisque l’audace et l’exigence ? exigées (d’un de ses autres refrains) ont toujours de beaux jours devant eux. « Think » d’Aretha Franklin pour hurler « oh freedom », nous y penserons toujours. Cette liberté qui est toujours la liberté de celle ou de celui qui pensent autrement comme l’exprima Rosa Luxemburg.
Bientôt ma cabane aura retrouvé sa fonction première. Celle du nid avant le grand envol. Après tout c’est une chance d’avoir l’opportunité de voler une nouvelle fois. Comme si on ne l’avait jamais fait. Pour un autre vol. Vol au-dessus d’un nid de coucou ? Ou vol au-dessus d’un nouveau monde ? L’avenir, celui que nous saurons capable d’inventer nous le dira.
Didier Varrod, Directeur musical des antennes de Radio France