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« Chinese Room » de Scenius

Le replay Radio France de la semaine du 1er au 7 mai 2023

« Chinese Room » de Scenius, un replay Radio France
Scenious Live In Angers © Jack Life

Chinese Room de Scenius, miroir des illusions

  

Derrière le groupe Scenius se cache un duo franco-britannique porté au chant par l’angevin Fabrice Nau et par Steve Whitfield aux claviers, dont le premier album Enought Fears avait suscité l’engouement de la presse et des radios étrangères. Animé par des influences cold-wave post 80’s, Scenius confirme, dans son second album à paraître le 19 mai intitulé Life is a Thing (la vie, c’est quelque chose) sa signature sonore par ses rythmiques minimalistes, ses lignes de basses épaisses, ses nappes fantomatiques et ses mélodies entêtantes et terriblement addictives.

Parmi ces 10 titres de rock électronique sombre, aérien et poignant, dont les textes explorent nos tentatives d’aller de l’avant lorsque les choses se délitent, se distingue le single Chinese Room, objet d’un clip réalisé par Cotton Studio et monté par Scenius lui-même

Nous y sommes spectateurs d’une fête qui part lentement à la dérive où des danseurs et danseuses séduisants aux regards troubles évoluent sans jamais se rencontrer, comme murés dans leur individualité et prisonniers de leur voyage intérieur. De ce clip hypnotique, quasi onirique par l’utilisation d’images ralenties et surimpressionnées, se dégage tout d’abord une impression diffuse d’attirance pour ces visages et corps calibrés aux canons actuels de beauté en robe pailletée et perruque bleue. Mais leurs yeux brumeux, leur répétition mécanique de gestes et attitudes dans des séquences aux images subtilement dégradées semblent se faire l’écho du film original Blade Runner avec ses répliquants éthérés aux émotions singées, robots humanoïdes destinés à ignorer leur artificialité tant leur imitation de la réalité les coupe du secret de leur origine. Comme un appel au secours déguisé, les seuls échanges de regards se produisent avec le nôtre, scrutateur caché derrière notre écran mis face à la norme d’une nouvelle interactivité, celle de l’image et de celui qui la regarde appelant au fantasme d’une impossible communication.

Dès lors, le jeu des illusions règne dans ce clip qui semble être conçu intentionnellement pour illustrer le morceau Chinese Room. Pourtant, Scenius a utilisé des images déjà produites à d’autres fins, comme celles de la publicité, remontées en version VJing pour s’y adapter techniquement. Ce réemploi conjugue autant des valeurs éthiques éco-culturelles, qui posent la question de l’incessante production de nouveaux contenus dans le secteur de l’industrie des musiques actuelles qui incite à se démarquer des masses en créant toujours plus de visibilité par l’originalité, qu’un principe de réalité par la nécessité d’une économie de moyens quand on n’en dispose pas ou peu. Rares en effet sont les groupes émergents qui peuvent se permettre, alors que la production même de musique peut se concevoir désormais à bas coût, d’investir des moyens financiers dans la réalisation de coûteux vidéo-clips et nombreux sont ceux qui réfléchissent à une autre manière d’en créer, notamment par la réinterprétation d’œuvres existantes. Mais que produisent, en termes émotionnels, des images recomposées et détournées de leur sens originel ? À l’heure de L’AI et de la multiplication du fake restons-nous dupes de cette manipulation ou la reconnaissons-nous, même intuitivement ? Il semblerait que oui. En allant au-delà de la simple illustration de sa musique mais en révélant son sens profond, ici la quête d’authenticité au-delà de l’illusion du réel, Scenius a généré dans son clip une parfaite mise en abîme.  

À l’origine de ce titre, une expérience éponyme menée en 1980 par le philosophe américain John Searle, spécialiste de la philosophie du langage, qui démontre que même s’il l’on peut imiter à la perfection la réalité, le résultat reste une simulation dénuée de pouvoir créateur - autrement dit d’esprit - tant qu’il exclut une intention consciente porteuse de sens. Doit se poser alors perpétuellement la question du générateur de l’expérience détournée et de son but parfois caché en remontant à sa source, seul moyen de nous prémunir de la manipulation.  

Le clip autant que l’expérience Chinese Room interrogent notre quête de sens face à notre perception de la réalité dans une société s’inquiétant, tout en la banalisant, de la production de contenus à base d’intelligence artificielle. Aussi ressemblante soit­-elle, sera t’elle porteuse de l’étincelle de vie parfois cachée dans la maladresse, l’imperfection, l’indicible, l’inexplicable, l’absence de pouvoir ou de contrôle sur certaines situations qui reflètent notre appartenance à l’humanité tout autant qu’à la vie elle-même ? Chinese Room semble nous démontrer que, même si la frontière est mince, elle existe encore tant que nous ne sommes pas dupes de ce que nous ressentons par la confiance en nos émotions, affinée en expérimentant dans notre vie, pleinement, chaque jour, notre réalité comme modèle de notre monde.

Lorsque ce qui nous est donné à percevoir semble trop parfait, des grains de sables, matérialisés ici par l’incrustation d’images presque subliminales de robots malveillants, viennent enrayer la machine et la fascination hypnotique laisse place à un sentiment de malaise, signal du réveil de notre libre-arbitre sur nos perceptions. Au bout de la chaîne de production artificielle, face aux malentendus, le besoin d’authenticité de nos émotions humaines continue d’appeler sourdement à l’aide. Chinese Room fait la magistrale démonstration qu’il est urgent de le reconnaître pour que le monde ne bascule pas dans l’illusion dont nous serions à la fois les magiciens et les victimes.

► La tournée live de Scenius, en Angleterre comme en France, est en construction.

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► Découvrez le clip Chinese Room de Scenius sur YouTube 🔽

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