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Hommage de la semaine à Idir

Hommage à Idir par Didier Varrod
Idir (Christian DUCASSE/Gamma-Rapho) © Getty

Idir « Ici et ailleurs » un dernier album à réécouter

Idir est mort le samedi 2 mai et soudain une immense tristesse, et la fierté d’avoir pu croiser la route de cet homme épris de beauté et d’humanité. Ce passeur d’identités m’a enseigné au-delà de la grandeur de son œuvre, une belle et grande idée : quelque soit le lieu d’où l’on vient, Idir exprime sa conviction profonde : « on est de là où on est aimé. » L’amour et l’amitié structurent l’identité, et dans le jeu des équivalences cher à l’artiste cela signifie qu’un sourire est le premier geste d’accueil qui peut signifier l’origine de chacun.

Idir, de son vrai nom Hamid Cheriet, né en 1949 à Aït Lahcène, à 35 km de Tizi-Ouzou, capitale de la Grande-Kabylie, rendait hommage à son enfance dans son dernier album studio. Avec le temps vient toujours ce moment important où l’on sent confusément qu’il faut faire le chemin à l’envers pour se sentir totalement rassemblé, unifié, pacifié. Les chansons populaires sont ainsi comme toutes les routes qui le ramenaient à son berceau de paix et d’identité. Grâce à ce disque, Idir opérait donc un pèlerinage musical, et nous donnait une leçon et un bel exemple de ce que peut être l’ouverture dans

un monde où tout semble être déterminé par le désir du repli. Deux mots qui ne vont pas bien ensemble….

Idir, légende de la chanson kabyle, se pliait ainsi à l’exercice du duo pour nous faire écouter un autre sens qu’il donne à ce partage pourtant si commun dans la musique.

Ce disque était composé de chansons qu’Idir a profondément aimées dans son enfance puis dans sa vie d’artiste. Ameziane Kezzar a ainsi mené ce travail d’adaptation avec la complicité d’Idir. Car il ne fallait pas se risquer à simplement traduire, puisque « traduire disait-il, c’est souvent trahir. » La vérité est toujours dans l’intelligence de l’émotion. Et à l’écoute de ces chansons, se dessine ainsi puissamment la personnalité de ce berger de la conscience. Le chant kabyle, de toute éternité, colle à la vie sociale. Il renvoie spontanément à ces grandes et belles veillées où l’on racontait le monde avec des contes et des énigmes. C’est l’histoire, là encore, de l’enfant Idir qui écoutait émerveillé sa grand-mère et sa mère poétesse lui enseigner la force vibrante de la culture orale et de la valeur unique du mot. Comme si, de l’exaltation de l’enfance, nous pouvions retrouver le chemin de l’espoir en passant par la beauté de cette langue berbère. Une langue certes parfois morcelée par la géographie, mais qui s’est toujours unifiée dans un même sentiment. Car au contact des conquêtes, elle s’est toujours sauvée.

L’album s’intitule « Ici et ailleurs », qui traduit bien cette idée de trait d’union. Il y a bien sûr l’hommage aux racines profondes mais c’est aussi et surtout un plaidoyer très émouvant pour le déracinement vécu comme une chance. Avancer, c’est vivre et donc respirer en tournant le dos à la résignation.

Pour fermer ce livre de tolérance en double croche, on retrouvait « Lettre à ma fille », chanson qui figurait déjà dans l’album « La France des couleurs ». Idir avait le sentiment que la chanson était à côté de son destin, comme si elle n’avait pas tout à fait trouvé sa place dans cette première terre d’accueil. Avec elle, Idir questionne l’éducation comme pilier essentiel de l’émancipation personnelle et humaine. Il nous renvoie aussi aux principes de la religion, même si en soubassement il semble nous dire ces choses que l’on ne dit pas. Si toutes les religions détiennent leur vérité, nous n’avons pas besoin pour autant d’un dieu qui tue, insulte ou corrige. Comment craindre sans cesse un dieu qui est censé nous aimer ? Ainsi soit-il.

Onze chansons qui témoignaient aussi d’une démarche testamentaire et émotionnelle. L’homme avait ouvert le chemin en chantant dans sa langue devenue populaire dès le milieu des années 70. Avec « A Vava inouva » Idir signait en 1976 le premier tube pop venue des montagnes d’Afrique du Nord pour faire danser, pleurer et parfois résister la vieille Europe.

Mais ce qui frappe encore davantage est le message universel qu’Idir nous a adressé tout au long de sa vie. La langue française lui a offert le discernement. Le berbère, un point de vue émotionnel. Son dernier album était ainsi la rencontre du discernement et de l’émotion. A l’heure où les idéologies ont pris le pas sur les émotions, l’album « Ici et ailleurs » est une sorte de rappel à l’ordre nécessaire : on ne négocie pas l’intelligence et la lumière sur l’autel du repli sur soi. Idir nous a offert sa vision humaniste de l’humanité. Celle d’un optimiste désespéré qui nous dit, avec la douceur de celui qui sait pourquoi il existe, que nous ne méritons en aucune façon cette obscurité promise par les marchands de malheur.

Didier Varrod, Directeur musical des antennes de Radio France

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