Thousand « Au Paradis »
J’aime ce mec « mille fois » par semaine. Il a bien fait de s’appeler « Thousand ». A l’état civil : Stéphane Milochevitch, et donc en tant qu’artiste Thousand.
Son précédent album « Tunnel végétal » sonnait comme un éblouissement permanent. On lui a peut-être trop dit. Du coup, il a voulu vite s’échapper de cette passion, parfois déraisonnable, exprimée notamment par votre serviteur. On ne soupçonne pas toujours les effets collatéraux d’une admiration décuplée par ce sentiment que l’on aurait dû connaitre l’artiste bien avant.
Thousand revient donc en sortie de confinement avec son album « Au Paradis ». Face Amour face amer. Lui aussi. On retrouve avec émerveillement ce don du collage d’idées. Une écriture cubiste qui, parfois, s’y connaît pour faire exploser les habitudes de l’entendement naturel d’un disque.
Thousand possède une écriture qui invite à l’ouverture et au chambardement de sens et des sens. L’album a ceci de terrestre qu’il nous fait voyager au cœur des territoires de France. Non pas à la manière d’un Guide du Routard, mais plutôt en distillant des lieux qu’il fait résonner comme des onomatopées signifiantes. On connaît au moins de nom, le Crazy Horse, moins notre Dame de la Vouise. Alors on visite les lieux inconnus pour nous les rendre familiers. Comme on révise parfois son ignorance pour les mythes et contes pour adultes. Judas Brutus Cassius font « trouple ».
Avec Thousand on se perd dans un cut up poétique et pictural. Regarde le noir, écoute le silence. Tout est dit ou presque. Avec une voix pétrie dans une drôle de « désabusion ». Comme l’avait dit Gainsbarre à propos d’une lolita du top 50 « le Paradis c’est l’enfer ». Il aurait été proprement jaloux de cette phrase « je repasserai peut être un soir prendre des nouvelles de ton boule ». Thousand nous fait onduler entre les deux territoires où Lucifer et Adam se matent avec une sorte de jubilation abstraite. Au résultat, on écoute l’album d’un artiste qui semble possédé par sa propre religion, païenne et mystique à la fois comme le fut peut être Léonard Cohen. Un Jésus de l’intérieur taraudé par les questions d’identité. Avec une façon très nonchalante de vous rendre intelligent. Thousand balance ses émois, ses rêveries et turpitudes avec toujours la même ambiguïté. Parcourant l’amour animal d’Aloys Zötl, soudain dans la fumée d’un shilum d’opium, des visions de dompteur de rêves. Après son « tunnel végétal » les ouvertures imaginaires de Thousand produisent chez moi un effet toujours assez trouble. Quelque chose à vrai dire d’éminemment sexuel alors qu’il ne cherche sûrement pas l’attraction par le désir. Mais c’est ainsi : « à son corps défendant le miroir d’essence… »
Didier Varrod, Directeur musical des antennes de Radio France