Guy Bedos
Je devais avoir 13 ou 14 ans. J’ai parfois la mémoire qui flanche. Mais une chose dont je suis sûr c’est de cette émotion encore intacte lorsque j’entrais avec mes parents dans la grande salle de la Maison de la Culture de Grenoble. Une sorte d’emblème de l’utopie soixante-huitarde, concrétisée dans un bâtiment futuriste qu’on appelait déjà le Cargo. On devait cette innovation à André Malraux. Un très vieux monsieur pour moi. D’un autre monde. Un vieux monde déjà… On avait tous en souvenir un morceau de son discours lors de son inauguration
« La maison de la culture ne répond nullement à un besoin de distraction. […] la première raison d’être de cette maison de la culture, c’est que tout ce qui se passe d’essentiel à Paris doit se passer à Grenoble. […] tout ce qui appelle la participation du public est bon. »
Et soudain, j’allais applaudir dans ce nouveau temple de la culture, un duo d’humoristes qui avait fait un tube de l’été au hit-parade. Un couple d’amoureux de la rigolade qui passait souvent à la télévision chez Michel Drucker et les Carpentier. Ce soir-là, j’avais l’impression que la télévision de Paris rendait visite au petit provincial que j’étais. Je fus littéralement subjugué par la complicité théâtrale et la maîtrise du jeu de ce couple Bedos-Daumier qui pourtant allait bientôt se séparer.
J’assistais en fait à mon premier spectacle. Avant ceux des chanteuses et chanteurs qui feront ma vie. Guy Bedos occupe ainsi cette place singulière dans ma vie d’adolescent, un très jeune homme qui n’imaginait pas alors devenir un artisan de l’ombre dans l’industrie des sentiments. Et voyez-vous ça marque. Cela offre une conscience politique. Assurément. Et un tropisme inné pour la culture populaire qui aide à penser dans le sens de la hauteur. Arrivé à Paris, je croiserai Guy Bedos dans les coulisses des spectacles de Barbara. Parfois dans les couloirs de France Inter. Souvent encore en simple spectateur émerveillé.
1981, avant Barbara il distribue des roses en scène le soir de la victoire de François Mitterrand. Bedos-Robin ? De vrais mélancomiques. Bedos-Desproges ? Une certaine idée de la France qui ne se résigne pas dans le conformisme d’un humour de gauche ou de droite. Guy Bedos avait le visage d’un clown triste qui ose rire de tout. Il est parti quelques jours après Jean-Loup Dabadie. L’élégance française est bien froissée en ces jours de déconfinement. On n’oubliera pas sa lucidité non plus :
« Ma carrière d’humoriste est un succès, ma vie de citoyen utopiste, un échec »
Il va falloir se retrousser les manches pour lui montrer qu’il a eu tort de penser cela.
Didier Varrod, Directeur musical des antennes de Radio France